· 

Rouge Belledonne

Septembre 2017. Après quelques belles randos au cours de l'été, et notamment trois jours avec les parents dans Belledonne, j'aspire à passer plusieurs jours seule en montagne. Cela fait deux ans que je suis revenue de mon voyage en Patagonie, deux ans que je ne me suis pas retrouvée seule avec moi-même quelques jours. Habitant au pied de la montagne, l'idée est de partir directement de la maison à pieds, et d'y revenir à pieds. Simple.

 

Je passe plusieurs heures à étudier la carte de Belledonne, les dénivelés, lire quelques topos. Après quelques achats de matériel et provisions me permettant de partir en autonomie pour sept jours avec un poids sur le dos relativement raisonnable (16 kg tout de même), me voilà prête !

 

Je pars avec des bouts de carte sur-mesures en poche, et une idée relativement précise de mon itinéraire. Je me laisse quelques variantes possibles, qui me permettront de m'adapter en fonction de mon état, ma motivation, la météo, etc.

 

Ci-dessous, la carte de l'itinéraire réalisé.

Au total, environ 6700 m de dénivelé et 80 km parcourus.

Jour 1 : Revel – passerelle du Mousset

1535 D+ / 700 D- / 13 km

Je pars de la maison à pieds. La satisfaction de cette simplicité est grande, même si cela implique un début d’itinéraire relativement ingrat. La montée jusqu’à Freydières puis Pré Raymond se fait en partie par la route, ou pas loin, et je vois passer bon nombre de voitures.

 

Le temps est beau et chaud. Le sac est lourd et douloureux, mais la motivation est plus forte.

 

Montée au lac du Crozet comme un dimanche bondé ! Parmi la foule, quelques personnes remarquent la taille de mon sac et me demandent ce que je vais faire.

 

J’arrive au lac vers midi. Trop de monde. Aucune envie d’y passer le reste de la journée et d’y planter la tente avec cette foule. Je fais une courte pause et monte vers le col du Loup : c’est déjà beaucoup plus tranquille et montagne. Je croise quelques personnes, et des bouquetins nonchalants juste sous le col. Je profite d’une bonne pause au calme, et de la vue sur la vallée avec les bouquetins au premier plan. Les toutes premières neiges sur le massif sont encore présentes assez bas sur les versants nord. J’y fais quelques traces de l’autre côté du col.

 

Je pousse jusqu’au col de la Sitre, puis le habert du Mousset. Je connais bien cet itinéraire que j’ai parcouru il y a quelques semaines à peine avec les parents. Je sens que je m’habitue déjà au poids du sac, mais les muscles chauffent quand même.

 

Arrivée au habert, la cabane ne me fait pas envie. Je plante ma tente sur un petit promontoire de l’autre côté du Vors. Le sac posé, je sens que j’ai pas mal tiré sur mon corps, qui n’est pas fait pour porter une charge faisant un tiers de mon propre poids.

 

Il est tôt, je prends le temps d’aller me laver dans le torrent malgré les derniers randonneurs qui passent à côté. Il fait grand beau, les couleurs d’automne arrivent, Belledonne est splendide ! Je savoure cette première soirée en solo, comme des retrouvailles avec les éléments. Un chamois pointe le bout de son nez pas loin au-dessus. Le ciel m’offre toutes ses étoiles, avec une vue sur la Grande Ourse depuis l’ouverture de la tente.

Jour 2 : passerelle du Mousset – habert d’Aiguebelle

1090 D+ / 1030 D- / 12 km

Du mal à me lever à la sonnerie du réveil. Pas froid, mais mal partout : j'ai mal dormi. C’est finalement deux tirs de chasse bien efficaces, en contrebas dans la vallée, qui me sortent de ma torpeur. J’expérimente mon premier petit-déjeuner : une demi-pomme, des flocons d’avoine, du miel et plein de fruits secs, accompagnés d’un thé.

 

Passage au refuge Jean Collet, désert. Il fait grand beau, mais ça ne va pas durer. Montée au col de la Mine de Fer, trois petites gouttes se pointent. Je revois le pierrier du rocher de l’Homme descendu quelques semaines plus tôt avec les parents. J’aime cette fin de vallée très minérale, et austère.

 

Encore un peu de neige au col, où je casse la croûte, et je redescends sur le lac de Crop. Je quitte mon terrain connu. La descente continue très bas dans la forêt, presque jusqu'au pont de la Betta. C’est long et monotone. Puis c’est la remontée vers le habert d’Aiguebelle, assez fastidieuse aussi. Je croise deux dames très sympathiques.

 

Le refuge est tout fermé, mais je profite de la source, et je peux faire un feu et sécher un peu la lessive. Je cherche avec peine du réseau afin de faire un point avec Gaëlle, mon "routeur" météo et sécurité.

 

La nuit est assez fraiche, et quelques gouttes me poussent à aller me coucher.

Jour 3 : habert d’Aiguebelle – lac de Cottepens

1365 D+ / 950 D- / 13 km

Réveil mieux rodé, je m’attaque au vallon du Vénétier. C’est magnifique ! Il fait un temps superbe, la vue sur Belledonne Sud et le Grand Pic est imprenable. La fin de la montée à la Cime de la Jasse est longue, mais l’arrivée d’autant plus gratifiante. J’arrive juste à temps pour profiter de la vue (Allevard, Mont Blanc, Grand Pic, etc.) avant que les nuages ne viennent coiffer les sommets. Je croise un personne solitaire elle-aussi.

 

Puis j’attaque la descente par le couloir au nord du col du Pra. Je suis bien contente de m’être exercée à la descente en couloir/pierrier raide avec les parents début août. Le poids du sac rajoute quand même un peu de difficulté, mais ça passe sans problème. La descente jusqu’au chalet du Pra est assez roulante finalement, et le vallon est magnifique.

 

Je pousse jusqu’au chalet du Gleyzin, peu accueillant, puis jusqu’aux Sept Laux avec une montée éprouvante. Le temps se met au brouillard là-haut. Refuge, cabanes, tout est fermé. Je tourne pour chercher un site pour la tente mais surtout de l’eau courante. Rien. Je repère sur la carte un petit ruisseau de l’autre côté du lac de Cottepens, alors je pousse jusque-là malgré la fatigue. C’est finalement une bonne idée : je tombe sur le bivouac de rêve ! Place pour la tente parfaite, eau de source juste à côté, et vue imprenable. Je me lave dans le lac malgré le froid, et me couche en m’autorisant une journée plus tranquille le lendemain.

Jour 4 : lac de Cottepens – chalet de la Pessée

450 D+ / 850 D- / 9 km

Le soleil que j’espérais au réveil n’est pas là. Je traine donc dans mon duvet, puis me décide à m’activer. Le site est beau malgré la grisaille. C’est très calme, apaisant. Deux pêcheurs sont eu milieu du lac de Cos.

 

Je fais un petit crochet jusqu’au col des Sept Laux, puis j’attaque la seule montée de la journée : le col de la Vache. Là-haut, je croise un jeune faisant la traversée du massif, avec qui je partage un bout de fromage, puis un moins jeune. Le soleil est enfin sorti entre les nuages, le temps est délicieux. Je m’offre un petit point de vue sur le petit sommet d’à côté à 2600. Puis c’est la descente vers le pas de la Coche. Les couleurs sont incroyables ! Les myrtilliers sont flamboyants. Les sommets de Belledonne sont coiffés, mais les nuages sont changeants et les laissent apercevoir de temps en temps. Le pas de la Coche serait beau sans ses pylônes électriques.

 

Je continue plein sud et rattrape par les sentes d’alpages le chalet de la Pessée. Il est fermé, mais ô miracle : un point d’eau courante ! Le site est encore au soleil, l’emplacement pour la tente avec vue cinq étoiles (au milieu des crottes de brebis, certes). Je fonce à la "douche" tant que le soleil pointe encore ses rayons. Je m’habitue bien à ses bains glacés. J’en sors comme neuve. Le site est incroyable pour sa vue à 360°. La "civilisation" du Rivier d’Allemont m’est cachée, je me sens dans un endroit et moment uniques.

 

J’entends des bruits de tronçonneuse, ou de vache, je ne sais pas trop, dans le vallon d’à côté, mais n’y prête pas trop attention. Dans la soirée je me rend compte que ça persiste malgré la tombée de la nuit, et qu’il y en a au moins deux autres dans d’autres vallons autour… qu’une seule explication : des cerfs en brame ! Je suis chez eux.

 

Je prends ma tisane et quelques carrés de chocolat avant d’aller dormir, et j’écoute maintenant au moins trois ou quatre cerfs se répondant d’un vallon à l’autre. D’un coup, j’en entends un beaucoup plus proche, et commence à frissonner. C’est pas dangereux ces bêtes-là en rut ? Je n’ai aucun endroit où me réfugier s’il venait à me charger (pas d’arbres sur cet alpage, et les chalets sont fermés). Plus un doute, il est remonté du vallon et est à une centaine de mètres derrière la tente. Je l’entends râler. Je siffle tout ce que je peux, puis court chercher ma frontale dans la tente (que je galère à trouver). Je l’éclaire alors, et l’aperçois détaler en râlant. Je siffle de nouveau, et lui crie de s’en aller. Mon cœur bat sacrément fort. Je tente de me calmer en me disant qu’il doit avoir plus peur que moi, ce que me confirme Gaëlle, à qui j’ai écrit un message pour extérioriser ce petit stress. Je vais enfin me coucher plus tranquille.

Jour 5 : chalet de la Pessée – lac de Belledonne

865 D+ / 445 D- / 11 km

Nuit inoubliable à la Pessée ! En plein milieu de la nuit, je me réveille bizarrement, presque amusée pendant quelques secondes, prenant petit à petit conscience que ce sont les râles du cerfs à quinze mètres de moi qui m’ont réveillée. Dans un demi-sommeil, je suis morte de trouille et n’ose bouger d’un poil. Le cerveau à moitié endormi ne me permet aucun recul, et je suis prise d’une peur viscérale pendant plusieurs minutes. Je me dis que de me manifester pourrait le faire partir, mais pourrait aussi bien l’énerver. Je préfère rester immobile, pour ne pas dire tétanisée, aux aguets du moindre rapprochement. Ça dure bien vingt minutes – une demi-heure, peut-être plus. Au bout d’un moment, n’entendant aucune approche inquiétante, je me dis qu’il n’est clairement pas là pour moi et qu’il finira par partir. Je tente alors de profiter de ce moment si unique et frissonnant. J’ai le temps et je suis aux premières loges pour écouter le spectacle. Je m’imagine ce qu’il peut bien raconter : « QUI EST LE MAUDIT PUCEAU QUI VEUT ME PIQUER MES FEMELLES ?! VIENS VOIR SI T’ES UN VRAI MALE !!! JE VAIS T’ÉCRASER ! FAIS GAFFE A TOI, C’EST MOI QUI AI LA PLUS GROSSE PAIRE, MAUVIETTE ! … ». Il alterne ces moments de colère noire avec ce que j’interprète comme étant des complaintes aux courtisanes. Le sommeil me rattrape et, la peur étant partie, je replonge dans les limbes, parfois réveillée brusquement par un excès de colère de la bête. Il finit par s’éloigner, mais je l’entends toujours, pas loin de l’alpage, ainsi qu’un de ses rivaux, jusqu’au petit matin. Éprouvante, la nuit du cerf !

 

Au réveil, je profite du lever de soleil sur Belledonne toute dégagée, et prends mon temps pour profiter du lieu, et faire sécher ma tente qui a pris la rosée. Je descends ensuite vers le Rivier d’Allemont, pour remonter par le vallon suivant, où je croise quelques bucherons. Je reprends de la hauteur, et savoure le décors flamboyant : rouge myrtille ! Après Roche Coutant (je loupe le chalet), je rejoins un berger et son petit troupeau. Incroyable : c’est un petit papy (80 ans ?), en béquilles dans les sentes d’alpages et les pierriers. On échange trois mots, il me dit qu’il m’aurait bien apporté le café demain matin au lac.

 

Je continue jusqu’au lac de Belledonne, avec toujours autant de couleurs, et vue sur le massif des Grandes Rousses et une partie des Écrins. Les sommets de Belledonne sont couverts, mais se libèrent à mon arrivée, comme pour me rappeler la chance que j’ai. Je croise deux grimpeurs qui me laissent la place pour planter ma tente, et profiter d’une baignade tranquille. Je profite du calme, au pied du Grand Pic, et je peux observer mon itinéraire du lendemain, qui sera assez technique et exposé. Les bruits relativement réguliers de chutes de blocs dans tout le cirque annoncent la couleur.

Jour 6 : lac de Belledonne – lac David

1020 D+ / 990 D- / 7 km

Journée grandiose ! Un peu de mal à émerger, j’arrive quand même à profiter du lever de soleil derrière l’Étendard, et attaque le cône d’éboulis puis le couloir menant au col de Belledonne. J’aperçois non loin quelques chamois et mouflons, bien plus à l’aise que moi dans ce terrain. C’est instable, exposé au chutes de blocs. Je sais qu’il ne faut pas trop trainer là. Les dernières sorties en pierriers m’ont rendue plus à l’aise, et je m’en sors bien. Finalement, j’atteins le col en deux heures. Puis quinze minutes de plus, et c’est la Croix. Enfin ! Depuis le temps que je l’avais en tête.

 

Le ciel est nuageux, mais le plafond est haut et à tendance à se dégager. Je profite d’une superbe vue de tous les côtés. Même les Écrins finissent par se montrer. Le Grand Pic à l’air si proche. Des grimpeurs arrivent à son sommet et me font signe, je leur réponds avec envie.

 

Le ciel se met au vrai beau temps, alors je descends au col du Bâton. Je dois décider de mon itinéraire selon les options que je m’étais laissées en préparant la rando. J’ai le choix entre une belle traversée rocheuse, potentiellement un peu exposée, ou un parcours plus classique par le GR, beaucoup moins excitant.

 

Je décide de faire au moins le pic du Grand Doménon, qui est là tout proche et qui a l’air facile, et d’aviser au sommet selon à quoi ressemble la traversée. Finalement, j’enchaine le tout sans problème, avec de superbes sensations. Je me dis que dans une autre vie, je me réincarnerais en chamois. Mention spéciale pour la vue depuis le Pic du Grand Doménon : pleine vue sur les lacs du même nom directement en contre-bas, et sur la Grande Lance de Domène juste en face, qui forme une imposante pyramide. La Croix et le Grand Pic sont tout proches aussi. Et à 360°, c’est le festival des différents massifs : Chartreuse, Vercors, Taillefer, Écrins, Grandes Rousses. On aperçoit même le Mont Blanc, qui était caché depuis la Croix.

 

Je fais une vraie pause à la Grande Lauzière (qui porte très bien son nom), où je croise un couple. Puis j’attaque la descente, hésitante sur la prochaine étape (lacs Roberts ?). Finalement, en voyant le lac David en contre-bas, si beau, je décide d’y faire mon dernier bivouac. Ça permettra peut-être de rentrer avant la pluie annoncée le lendemain.

 

Le lac est parfaitement exposé pour prendre le soleil jusqu’au coucher. Parfait pour un dernier moment d’immersion. Je savoure une dernière baignade, et un coucher de soleil incroyable sur le Vercors, avec un ciel en feu qui se reflète dans les eaux du lac.

Jour 7 : lac David – Revel

350 D+ / 1710 D- / 12 km

Dernier jour. Je profite du réveil tranquille et quitte ce petit coin de paradis qu’est le lac David. Je fais une petite pause « crêpe aux myrtilles » au refuge de la Pra, encore ouvert. Je me dirige ensuite vers le lac Merlat, je salue une marmotte, et j’attaque la dernière montée de l’itinéraire.

 

Arrivée au sommet du Grand Colon, je croise les randonneurs du week-end. Je me sens légèrement en décalage, et tente de profiter des derniers instants « montagne » malgré le fait que je me sente déjà revenue parmi la civilisation. Je descends par l’itinéraire peu fréquenté de la combe au-dessus de la baraque du Colon, puis décide de rejoindre Freydières pour une bonne bière bien méritée. J’y trouve Amélie, à qui je raconte un peu mon petit périple et partage mes émotions. Après une dernière demi-heure de descente, et sous les premières gouttes de pluie, retour au bercail.

 

Après une semaine magique seule en montagne, la douche chaude est salvatrice, et le sentiment d’accomplissement, total.

Écrire commentaire

Commentaires: 0